L’art du silence : la poésie visuelle de L’Odeur de la papaye verte
- Blanca Breer & Stanislas Denis-Préchac
- May 26
- 2 min read
Vietnam, dans les années cinquante. Mùi, une jeune paysanne de dix ans, arrive en ville pour travailler comme servante. Sous la guidance d’une domestique âgée, elle apprend les gestes rituels, les coutumes du foyer et les secrets d’une famille marquée par son passé. Au fil des années, Mùi grandit et découvre l’amour.
Cette image dépeint en un instant l’essence de ce film de Tran Anh Hung, qui a
obtenu la Caméra d’Or à Cannes en 1993. Dans L’Odeur de la Papaye Verte, on
ressent un Vietnam loin des bombes mais proche des conflits intimes. Loin de
l’implosion d’une frange de l’histoire du pays qui se joue non loin, c’est une tranche
de vie empreinte de poésie et de douceur, où le temps semble suspendu à chaque
plan.
Le cinéma de Tran Anh Hung se distingue toujours par une approche pleine de
sens, par les gestes et les mouvements de ses acteurs, préférant le récit imagé aux
longues tirades explicatives. Il sait évidemment que ses images se passent de mots.
Ici, le rythme est lent, chaque mouvement semble chorégraphié, chaque regard
chargé de signification pour le spectateur qui le contemple.
Difficile de ne pas penser au roman La Jeune Fille à la Perle de Tracy Chevalier,
tant cette image évoque une histoire semblable et une même grâce silencieuse.
Mais ici, la jeune fille est vietnamienne, plongée dans une atmosphère aux
résonances aussi exotiques qu’intemporelles.
L’éclairage et l’image, rappelant le style et la peinture de Rembrandt, apportent
une dimension picturale à cette scène. Malgré un ancrage profond dans la culture
vietnamienne – des détails raffinés de la table sculptée aux pages usées du livre
tenu par l’homme –, la lumière confère à l’image des accents de peinture
hollandaise.
Le réalisateur déborde d’envie de mélanger les arts, chaque plan étant
composé comme une photo, comme une peinture. À nous d’en juger. Il nous invite
à contempler, honorant le spectateur par l’extrême soin apporté à sa mise en scène.
Les couleurs désaturées, teintées d’une pellicule verdâtre, ajoutent à l’ambiance
une chaleur douce et rassurante, que l’on imagine propre au Vietnam. Cette teinte
légèrement ancienne mais étrangement moderne enveloppe le film d’une
intemporalité troublante. On se prend à rêver d’être avec eux, de partager leur
quotidien, leurs silences et leurs gestes anodins, mais pourtant si riches de sens.
Lorsque l’on sait que l’entièreté du film a été tournée à Bry-sur-Marne, on ne
peut que saluer le talent du réalisateur pour avoir su nous mentir aussi
parfaitement.





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