L’Odeur de la papaye verte : un photogramme empreint de symbolisme
- Blanche Lorho & Helena Saldinger
 - May 26
 - 2 min read
 
Réalisateur d’origine vietnamienne, Tran Anh Hung s’est imposé comme l’une des figures majeures du cinéma contemplatif. L’Odeur de la papaye verte (1993), son premier long-métrage, fut récompensé du Prix de la caméra d’or et du Prix de la Jeunesse à Cannes, ainsi que du César du Meilleur Premier Film. Il y développe une esthétique raffinée où la poésie du quotidien, la nature et la mémoire sensorielle occupent une place centrale. On y suit Mùi, une paysanne de 10 ans, dans le Ho Chi Minh des années 50, qui vient en ville travailler en tant que domestique pour une famille de commerçants.
Un photogramme en particulier, où la jeune Mùi observe un arbre à papaye depuis sa fenêtre, incarne à lui seul toute la sensibilité du film.
Un cadrage évocateur
La composition de l’image, avec la fenêtre, souligne l’opposition entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’enfermement et l’éveil au monde. Mùi, figée dans le cadre de sa chambre, tourne son regard vers le jardin. L’arbre à papaye, élément central de l’image, devient un pont visuel et symbolique, témoignant de son lien intime avec son environnement. Cet effet de surcadrage renvoie aussi à la condition de servante à laquelle elle est assignée. Il incarne un désir d’ailleurs, une aspiration à une vie plus libre que celle qui lui est imposée. Bien qu’elle puisse observer la nature, elle reste enfermée dans un cadre rigide, à l’image de son rôle social. Cette scène rappelle que, si elle semble libre dans son regard et ses pensées, son destin est avant tout tracé par sa position subalterne. Son éveil au monde est ainsi entravé par les contraintes du patriarcat et de la hiérarchie sociale.
Un éveil au désir et au monde adulte
La photographie du film privilégie une lumière douce et filtrée, créant une atmosphère presque onirique. Les tons verts et ocres dominent, accentuant à la fois la chaleur du foyer et la vitalité de la nature. Le jeu subtil des ombres renforce la sensation de quiétude et de réveil progressif, à l’image de l’héroïne qui émerge doucement à la vie et à ses transformations à venir. Cette couleur verte fait également écho à celle de la papaye lorsqu’elle n’est pas mûre. Mùi en est au début de sa vie et s’apprête à mûrir, comme la papaye qui va jaunir. Au-delà de la contemplation, ce moment traduit aussi un éveil à la sensualité. Le regard de Mùi vers l’arbre à papaye n’est pas anodin : le fruit, symbole de fertilité, évoque de manière subtile la découverte du corps et du désir naissant. Plus tard dans le film, son attraction pour le fils de la famille chez qui elle travaille viendra confirmer cette transition vers une féminité encore balbutiante, marquée par la pudeur et l’innocence.
Ce photogramme, à l’image du film tout entier, célèbre la beauté des gestes simples et des instants suspendus. La mise en scène est épurée et méditative. En une image, Tran Anh Hung parvient à résumer l’essence de son film : une fusion entre humanité et nature, où le temps s’écoule avec douceur, mais où plane également l’ombre des rapports de domination et du désir naissant.





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